Développement participatif en Côte d’Ivoire

Développement participatif en Côte d’Ivoire : Quand l’implication des populations donne un autre visage au développement
Dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire, l’Etat, soutenu par des bailleurs, met en œuvre des projets de développement à l’échelle locale. Ces projets placent de plus en plus les populations bénéficiaires au cœur d’un processus dont la durabilité est assujettie à leur implication. Tour d’horizon non exhaustif de ces projets participatifs réussis ou en cours aux quatre coins du pays.
Aujourd’hui, Bernard Kouassi n’est pas allé au champ. Sa daba, il l’a troquée pour des bottes et une pelle. Il a une autre occupation dans le village où s’est ouvert un chantier de construction. En effet, en dépit de son âge avancé, ce notable de la chefferie s’est prêté volontaire pour donner un coup de main aux ouvriers du chantier de l’école primaire en construction à l’entrée du hameau. Et cette tâche, Bernard l’accomplit visiblement à cœur joie.
« Je me sens très heureux en venant prêter main forte aux maçons, car c’est pour mes enfants que je fais cela. J’en ai 17 et certains d’entre eux sont encore au primaire. Ce que je veux pour eux c’est qu’ils reçoivent une bonne éducation scolaire dans de bonnes conditions d’apprentissage. C’est vrai que je suis vieux et que je n’ai plus assez de force, mais je mettrai toute l’énergie qu’il me reste ici pour faire avancer les choses », dit-il, déterminé.
En effet, à N’Guessan Kouassikro, ce petit village non éclairé perdu dans la forêt luxuriante de Divo, à 58 kilomètres de la ville, il n’y a pas une seule école digne de ce nom. Le seul établissement qui existe – l’Epp N’Guessan Kouassikro – est de fortune, construit en bois et sous équipé. Deux apatams chétifs ouverts sur tous les côtés et mal couverts. C’est à cet endroit que sont dispensés les cours aux 300 élèves de l’école.
Le village a attendu pendant longtemps qu’une vraie école lui soit offerte, mais en vain. Ayant compris que son destin est entre ses mains, le village, par l’action conjuguée de la chefferie, du Coges et du directeur de l’établissement, a recherché des partenaires au développement et a rencontré finalement la Fondation Atef Omaïs (Fatom) qui s’est engagée à financer en grande partie la construction d’un bâtiment de trois classes. Les travaux ont débuté en novembre 2022.
Le donateur a fourni le ciment, le fer à béton, la peinture, les tôles, les carreaux, le matériel électrique et de plomberie ainsi qu’une partie du sable et du gravier pour un coût global de 12,4 millions de F Cfa. Le village et le conseil régional, eux, ont apporté le bois, l’autre partie du sable et du gravier, l’expertise et la main d’œuvre. Les fils et les filles de N’Guessan Kouassikro se sont ainsi engagés à donner tout ce qu’ils ont de plus cher pour la construction de l’établissement, à savoir leur temps et leur énergie.
Engagement, responsabilité
Quand nous arrivons sur le chantier, ce 21 janvier, le décor est saisissant. Des jeunes gens, des adultes, des femmes, des vieux et même des enfants, les manches retroussées, sont actifs sur le chantier. Ça bouge çà et là, sans rechigner. On les sent heureux d’aider les techniciens. Dans leurs mains, certains ont des pelles, d’autres des pioches et d’autres encore des râteaux ou des brouettes. Ils creusent le sol, ramassent le sable et l’apportent aux maçons, débarrassent le site des gravats etc. Le chef du village, Antoine N’Guessan, participent lui-aussi. Son implication galvanise tout le monde, tout comme les cris et les chants de motivation qu’ils reprennent en chœur. Les femmes transportent l’eau et font à manger aux ouvriers…Tout le monde participe, sans y être contraint et sans être payé.
« Si on pouvait faire plus que ça, on l’aurait fait. Non seulement pour montrer à quel point ce projet nous tient à cœur, mais aussi pour témoigner notre gratitude à cette fondation qui a pensé à nous. Depuis que le chantier est ouvert, le village est en joie et notre priorité actuellement c’est de l’achever », dit le chef Antoine N’Guessan.
Un planning a été arrêté pour permettre à chaque habitant du village et de ses campements satellites de venir à tour de rôle travailler sur le chantier. Une idée géniale, qui a permis aux travaux d’avancer très vite. Car, à ce jour, le bâtiment est déjà sorti de terre ; il ne reste plus que la toiture, l’aménagement de la cour et les finitions. Augustin Bamoni qui est du campement Pierrekro, à quelques kilomètres, lui, prend part aux travaux depuis l’ouverture du chantier. Il vient trois ou quatre fois dans la semaine. C’est financièrement pesant, mais pour lui ce sacrifice en vaut la peine.
« Je laisse ma petite famille à la maison pour venir travailler ici. Les herbes ont poussé dans mon champ, mais au lieu d’aller défricher, je préfère venir contribuer à faire avancer le chantier. C’est ça ma priorité, jusqu’à ce que tout soit terminé. Je ne suis pas payé pour ça ; mon salaire c’est la satisfaction que j’ai en regardant ce bâtiment qui est sorti de terre. J’ai l’impression que ça m’appartient. Je me sens encore plus motivé maintenant qu’on a presque terminé », dit-il.
L’un des plus fiers de ce projet, c’est le directeur de l’école, Jean Honorat Yed, qui a fait des pieds et des mains pour trouver la structure donatrice. « J’ai passé des nuits blanches, fait beaucoup d’allées et venues à Divo et à Abidjan pour rechercher un partenaire pour nous aider. Parce que, enseigner dans les conditions actuelles n’est pas chose facile. Quand il pleut par exemple, on est obligé d’arrêter les cours. Ce bâtiment vient régler ce problème. J’espère à présent que l’Etat va vite l’équiper une fois livré. Je suis très fier de la mobilisation dont les habitants du village ont fait preuve », se félicite-t-il.
A l’en croire, la livraison du chantier et la remise des clés de l’école à l’Etat de Côte d’Ivoire est prévue pour avril prochain. Ensuite, le prochain défi sera la construction d’un autre bâtiment de trois classes et des logements des maitres.
Kongodia et son Centre de Santé Rural
En Côte d’Ivoire, le développement local est en train de prendre un autre visage, plus réel et plus humain. Du nord au sud, de l’Est à l’ouest en passant par le centre, dans presque toutes les régions du pays, on voit émerger autre paradigme, celui de la participation de tous les acteurs des projets, surtout des bénéficiaires finaux. Leur implication dans la conception et la réalisation des projets sociaux s’affirme de plus en plus. L’approche du développement est en train de changer parce que les mentalités aussi évoluent dans le bon sens. Nombre de communautés ne se comportent plus en assistées et ne veulent plus qu’on le voit ainsi, mais elles se posent en de véritables partenaires de leur propre développement, comme on l’a vu à N’Guessan Kouassikro.
A l’instar de ce village, d’autres localités du pays s’illustrent bien dans cette logique de développement participatif. C’est le cas de Kongodia, village du département d’Agnibilékro situé à neuf kilomètres de la ville. Ici également, les habitants, face aux lenteurs administratives, ont compris qu’ils devaient prendre leur destin en main quand il fallait construire leur centre de santé rural. En effet, cette localité de 4000 âmes ne disposait que d’un tout petit dispensaire, à l’entrée du village, qui n’arrivait plus à répondre aux besoins croissants des populations. Une structure sanitaire dotée d’une maternité digne de ce nom était devenu le besoin le plus urgent pour le village qui a un fort taux de natalité. Pour le réaliser, les habitants de Kongodia ont décidé de faire leur cette maxime de Jean de la Fontaine ‘’Aide-toi et le ciel t’aidera’’. Les fils et les filles du village se sont organisés et ont commencé à rassembler leurs petits fonds, sous la conduite de la mutuelle de développement économique et social de Kongodia (MUDESKO) Présidée par M. Sosthène Gnangoran. Voyant leur détermination, la Providence ne pouvait que leur être généreuse, permettant ainsi à une fondation internationale de répondre favorablement à leur sollicitation. Aujourd’hui, le centre de santé que Kongodia attendait de tous ses vœux est sorti de terre, sur le même site que l’ancien dispensaire, au grand bonheur des habitants. A ce jour, le chantier est achevé à plus de 95%. Nous l’avons visité le 23 janvier.
Quand nous arrivons sur le site dans la matinée, on tombe pratiquement sur la même scène qu’à N’Guessan Kouassikro : des jeunes, des femmes, des vieux et des enfants présents avec des outils en main. Sous la conduite des techniciens, ces paysans, ouvriers de Btp pour l’occasion, travaillent acharnement et avec un grand enthousiasme à l’achèvement du chantier. Le chef du village, Nanan N’Guessan Brou et ses notables sont aussi sur le chantier pour encourager les travailleurs. Ici également, les populations se sont organisées de sorte à permettre aux volontaires de participer selon un planning hebdomadaire qui leur permet d’allier travaux champêtres et le service sur le chantier. En plus de la main d’œuvre (techniciens et ouvriers), le village et ses 52 campements satellites ont apporté une bonne partie des matériaux de construction, le tout évalué à un peu plus de 25 millions de F Cfa. La fondation, quant à elle, a contribué à hauteur de 73,4 millions de F Cfa.
Le projet a consisté en la construction sur un site d’un hectare d’une maternité, de la maison de la sage-femme, d’un préau (pour les sensibilisations POEV, VIH/SIDA, Nutrition, etc) au milieu de la cour, de toilettes externes et de l’aménagement d’une cour clôturée, avec des pavés, pour un coût global de 98,4 millions de F Cfa.
« Nos femmes pourront désormais accoucher dans de bonnes conditions. Les malades aussi recevront de bons soins. Tout ça n’a été possible que par notre détermination et notre sens de la responsabilité partagée. Je dis merci à notre bienfaiteur et tous les enfants du village, car cet hôpital est le fruit de notre détermination et nos efforts. Chacun de nous a fait un sacrifice pour réussir ce projet. Aujourd’hui, les villages voisins sont fiers de nous et veulent reproduire ce que nous avons fait. Cela nous démontre que quand on veut, on peut », note le chef du village
La réussite de ce projet et la belle expérience tirée du modèle dans lequel il a été conçu et réalisé, suscitent non seulement la fierté chez les populations de Kongodia, mais leur ouvrent d’autres perspectives pour les prochains défis, notamment la construction d’une maternelle, de logements des enseignants et l’extension du réseau électrique.
FAUSTIN EHOUMAN
Envoyé spécial à Divo et Agnibilékrou
Légende : Photos : Sébastien Kouassi
Encadré : Gage de durabilité !
En matière de développement local, ce à quoi on assiste généralement c’est que l’Etat ou un partenaire au développement conçoit et réalise entièrement le projet qu’il met ensuite à la disposition des populations bénéficiaires sans que celles-ci n’aient été associées ni à la conception ni à la réalisation. Une approche qui a montré ses limites, puisque selon plusieurs études, elle ne garantit pas une bonne durabilité aux projets réalisés.
Par contre, lorsque les bénéficiaires sont bien associés à la conception et à la réalisation des projets, la remarque faite est qu’ils adoptent naturellement un comportement responsable vis-à-vis de ces projets, leur assurant ainsi : la réduction des coûts pour chacun des contributeurs et, une certaine durabilité. Pour les coûts, en effet, on assiste à une surenchère souvent difficilement vérifiable. C’est ce que nous avons constaté au Groupe scolaire Dougouba dans le quartier Sokoura de Bouaké ainsi qu’au Groupe scolaire Tounzuébo, dans le village éponyme situé à une vingtaine de kilomètres de Yamoussoukro.
Ces deux écoles ont été, réhabilitée pour l’une (Tounzuébo), et quasiment reconstruite pour l’autre (Dougouba), et ce dans le cadre d’un maillage tripartite qui a impliqué une fondation internationale, l’Etat à travers ses entités décentralisées et les bénéficiaires finaux eux-mêmes. Et puisque les bénéficiaires se sont impliqués à un certain degré, ils se sont spontanément engagés à pérenniser leur bien. Les responsables de ces écoles et les parents d’élèves ont pris les dispositions les plus strictes à cet égard.
« Voyant que nos doléances n’avaient pas de suite favorable, nous avons dû prendre nous-mêmes les devants, et avec l’appui d’une fondation, nous avons pu réhabiliter notre école qui était en ruine. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on en prend soin avec la plus grande attention, peut-être même mieux que nos propres maisons (rires). Pour nous, il n’est pas question qu’elle se dégrade encore. C’est pourquoi, tous les acteurs de l’établissement y compris les élèves sont impliqués dans l’entretien et la préservation de ce bien qui nous appartient et aux générations futures », confie Agan Ponou, le doyen des directeurs du groupe.
Et Bamori Diarra, le président du Coges, de rappeler quelques faits éloquents montrant leur détermination des bénéficiaires à ressusciter l’établissement : « les parents d’élèves, dans ce projet de reconstruction de notre école, ont été formidables. Par exemple, l’école n’avait pas de clôture et ils l’ont offerte. L’un des portails a été offert par un parent d’élèves et celui qui l’a placé a travaillé gratuitement (…) Il y a eu beaucoup d’énergies et de responsabilité dans cette opération. Aujourd’hui, quand on regarde l’école, nous sommes fiers de nous. Notre plus grand défi est de la pérenniser et pour cela, nous n’accepterons aucune action et aucun comportement vis-à-vis de l’école qui pourrait aller dans le sens contraire ».
Cet engagement remarquable des parents d’élèves et du personnel éducatif dans la réhabilitation du Groupe scolaire Dougouba est qualifié d’exemplaire par les autorités municipales de Bouaké qui, faut-il le préciser, ont apporté une partie du financement. « Ils ont eu et ont mis en œuvre une idée géniale. Leur détermination est à magnifier. C’est ce modèle de développement que nous encourageons. En effet, on ne peut pas rendre quelqu’un heureux sans son consentement. Et donc sur cette base, nous avons opté pour bâtir Bouaké ensemble avec sa population comme partie prenante », indique Korotoum Diomandé Ouattara, 2e adjointe au maire, en charge de l’éducation, qui s’est exprimée au nom du maire Nicolas Djibo.
A Tounzuébo, c’est cette même logique participative qui a prévalu dans la réhabilitation de l’école primaire du village, à l’initiative du professeur Justin N’Goran Koffi, mais aussi dans la gestion en cours. L’engagement des gestionnaires de cet établissement à le préserver est tout aussi grand qu’observé à Dougouba. Ici, le Coges est allé plus loin en réalisant une ferme de poulets et d’autres activités génératrices de revenus devant servir à appuyer les frais de l’entretien de l’école.
Source: fratmat FAUSTIN EHOUMAN
Envoyé spécial à Bouaké et Yamoussoukro
Regard : ‘’Aide-toi et le ciel t’aidera’’